L’INSTITUTION TABERD A SAIGON
En 1874, le Révérend Père de Kerlan, curé de la cathédrale de Saigon, fonde l’Institution Taberd à Saigon (Cochinchine), dirigée par le Père Alphonse-Joseph Joubert, elle est destinée, en premier, à l’éducation des enfants abandonnés et des jeunes Eurasiens. Elle est inaugurée le 31 août de la même année. (1).
Elle occupe d’abord, les anciennes dépendances de la résidence des amiraux (appelée aussi résidence des gouverneurs ou hôtel du gouverneur), initialement constituée de trois bâtiments en bois, achetés à Singapour par l’amiral Bonard. En 1887, deux nouveaux bâtiments sont édifiés par Monseigneur Lucien Mossard (Evêque, de Médée, Vicaire apostolique, sacré le 1er mai 1899). (2). Elle doit son nom à la rue Taberd (parfois orthographiée Tabert) où elle est située (au n°5, à l’angle de la rue Taberd (qui deviendra le 53 rue Lucien Mossard) et de la rue Paul Blanchy) et qui perpétue, depuis le 1er février 1865, le souvenir de Jean-Louis Taberd, l’ancien vicaire apostolique de Cochinchine. (3).
« Saigon, 1863-1865, Vue du premier palais du Gouverneur de Cochinchine à Saigon » – Henri AMIRAULT.
“La première résidence des Gouverneurs à Saigon”
Iconographie historique de l’Indochine Française – Paul BOUDET et André MASSON – 1931.
Dirigée d’abord par les Pères des Missions étrangères, elle est confiée aux Frères des Ecoles Chrétiennes, le 1er mars 1889, avec 160 élèves dont la moitié était des pensionnaires. (4). Un nouveau bâtiment sera construit en 1895 pour accueillir un nombre toujours croissant d’élèves. (5).
« Plan cadastral de la ville de Saigon » publié sous la direction de Mr. Boiloux, Inspecteur des Domaines, Chef du Service du Cadastre – 1889.
Illustration dans une brochure éditée par les Frères des Ecoles Chrétiennes en 1924.
Une statue en bronze (aujourd’hui disparue), représentant Jean-Baptiste de la Salle avec un enfant, est installée dans la cour d’entrée et inaugurée, en novembre 1901. Une plaque de marbre porte l’inscription suivante : « A Saint J. B. de la Salle, hommage des Anciens Elèves du Collège d’Adran et de l’Institution Taberd ». (6).
On prépare ces élèves, dont les plus âgés ont seize ans, à devenir des secrétaires, des interprètes pour l’administration ou des employés de commerce. Certains suivent aussi des cours de musique et chantent à la messe paroissiale. (7). Elle devient rapidement un des collèges les plus importants de Saigon. Un rapport pour les années 1902-1903 décrit l’Institution Taberd comme « …Un véritable lycée, comprenant 3 corps de bâtiments dans lesquels se trouvent 12 classes, 2 dortoirs et 2 classes pour les élèves européens. Il y a 2 classes supérieures pour préparer aux examens mais aucune tentative d’enseignement professionnel. L’institution compte 450 élèves dont 109 métis… ». (8).
L’Institut Taberd en 1920.
Collection Huỳnh Minh Hiệp.
En 1939, L’Institution Taberd est réquisitionnée par le gouvernement. (9). Son personnel est transférée dans le Grand Séminaire en 1942 (rue Cuong Dê). (10).
Collection Philippe CHAPLAIN.
En 1946, elle reprend son activité.
lasan.org/lasan-vietnam
En 1954, après les Accords de Genève, elle accueille temporairement 1 200 familles immigrées. (11).
En 1964, un groupe d’étudiants et musiciens Jo Marcel, Truong Ky, Nam Loc, Tung Giang et Ky Phat organisent un concert au lycée Taberd pour célébrer la Révolution du 1er Novembre . En 1969, cet événement devient le Festival de Musique des Jeunes, régulièrement proposé dans la cour de l’école Taberd. (12)
Duy Quang et Thanh Lan lors d’un festival de musique des Jeunes au lycée Taberd.
Au cours de l’année scolaire 1973-1974, l’école comptait 115 classes et 7 464 élèves de la 2e à la 12e année (y compris les niveaux équivalents aux écoles primaires, intermédiaires et secondaires d’aujourd’hui).
« En 1874, le Père De Kerlan, de l’Association des Missionnaires de Paris et Directeur de la cathédrale, utilise ses biens personnels pour racheter l’ancienne demeure des gouverneurs de Cochinchine et la rénove pour aménager un dortoir pour les enfants. Le bâtiment du milieu, avec son architecture, ses techniques et ses matériaux de construction anciens, est la plus ancienne maison que nous a laissée le Père De Kerlan. De 1877, date de la mort du fondateur, jusqu’en 1890, l’école a été progressivement restauré et rénové pour devenir un établissement pédagogique. Parmi les prêtres qui succédèrent au Père De Kerlan, il y eut les Pères Mossard et Quinton, qui devinrent plus tard évêques. Et c’est lorsque le Père Mossard prit le contrôle de l’école que les travaux commencèrent sur la rangée de maisons de droite. Le 19 novembre 1889, Mgr Colombert accueille personnellement les Frères des Ecoles Chrétiennes et leur confie la responsabilité de l’école. En février 1890, les étudiants de Taberd furent officiellement instruits par les Frères jusqu’à ce jour. En décembre 1897, l’Institution Taberd eut l’honneur d’accueillir solennellement l’empereur Thanh Thai. Il s’agit d’un privilège rare si l’on considère que les anciens rois quittaient rarement la capitale Hue. Le mandarin royal de Hue a également visité l’école et a envoyé ses enfants étudier ici. Lors du Congrès marial de 1958, le cardinal Agagiianian, envoyé spécial du Saint-Siège et premier cardinal à visiter le Vietnam, a également visité l’école Taberd. En 1959, l’évêque Brini Kham Mang du Saint-Siège a présidé la cérémonie de pose de la première pierre pour la construction de deux nouveaux bâtiments et d’un auditorium, marquant une nouvelle ère dans son agrandissement. Les difficultés et les sévères restrictions imposées à la propriété privée en France en 1901 eurent également un effet profond sur les colonies. En effet, en 1904, les étudiants de Taberd perdaient leur bourse s’ils n’étaient pas transférés dans les écoles publiques. En 1941, l’armée japonaise déclare la guerre aux États-Unis et réquisitionne l’institution Taberd pour en faire un hôpital. Pendant une semaine, les Frères ont dû transférer jour et nuit leurs 70 ans de biens au Séminaire de l’avenue Cuong Dê. L’école Taberd est alors temporairement déplacée dans une rangée de bungalows situés sur un terrain vide sur l’avenue Thong Nhat, dont la construction avait été ordonnée par le gouverneur général Decoux. En janvier 1945, Saigon fut lourdement bombardée et l’école dut à nouveau être évacuée : l’école primaire vers Thu Duc, le lycée vers My Tho et le collège primaire vers Soc Trang. Ce n’est qu’en 1946 que l’école réintégra ses locaux. En 1954, l’école de Taberd a ouvert ses portes à plus de 1 200 familles d’immigrés après les accords de Genève, et après l’offensive du Têt, l’école a également servi de refuge temporaire aux familles de banlieue en fuite. Le jour de la fête nationale, le 1er novembre 1966, des obus de mortier Viet Cong tombèrent dans la chapelle pendant la messe, causant la mort d’un frère et blessant 7 autres frères. En 1968, des roquettes Viet Cong sont également tombées à trois reprises sur le deuxième étage de Ba Trung : une fois, tuant deux employés de l’école, et deux autres fois, ne causant heureusement que des dégâts matériels. ».
Avant-propos du Principal SH FÉLICIEN HUYNH CONG LUONG de l’Institution Taberd, dans la brochure du Centenaire du lycée en 1974.
En 1975, L’institution Taberd est nationalisée par l’Etat et remplacée en août 1976 en lycée pédagogique pour former des enseignants du primaire.
Le 3 septembre 2000, débute la première année scolaire du lycée Tran Dai Nghia, issu de la fusion du collège et du lycée pédagogique.
A partir de l’année 2003, il devient un lycée spécialisé dans les études supérieures, à destination des élèves surdoués.
Le 30 décembre 2019, il est classé vestige historique et culturel et site pittoresque de Hô Chi Minh-Ville par le Comité populaire de Hô Chi Minh-Ville.
Le 15 mai 2024, le lycée pour surdoués Tran Dai Nghia est scindé en deux écoles : le lycée Tran Dai Nghia (au 53, rue Nguyen Du, quartier Ben Nghe, district 1) et le lycée Tran Dai Nghia pour les surdoués (au lot P2, 38,4). ha zone de réinstallation, quartier An Khanh, ville de Thu Duc). Ainsi, à partir de l’année scolaire 2024-2025, l’école accueillera uniquement des élèves de 10e spécialisés.
De nombreux artistes ont étudié à l’Institut Taberd comme Jo Marcel , Nguyen Anh 9 , Mai Chau, Tran Trinh et les générations ultérieures dont Don Ho. Le musicien Nghiem Phu Phi y a également enseigné la musique. (13).
Philippe Chaplain – 2024 09 04.
1 (1844-1877). Le Révérend Père Henri, Marie-Thérèse, Alexandre JUHEL DES ISLES DE KERLAN naquit à Angers (M. & L.), dans la paroisse de la Trinité, en 1844. Il fit ses études [266] classiques au collège de Combrée et entra, laïque, au séminaire des Missions étrangères, le 26 septembre 1864. Il fut ordonné prêtre le 15 juin 1867 et partit pour la Cochinchine le 16 août suivant. Mgr. MiCHE l’envoya d’abord à Baria, où il fut vicaire, puis curé. Il devint ensuite adjoint du R. P. GERNOT pour l’administration des chrétientés de Cai-Mong. En 1871, il fut nommé curé de Saigon, et se dépensa en oeuvres humanitaires. Avec ses ressources personnelles, il fonda, en 1874, l’institution Taberd, destinée aux. jeunes métis abandonnés. Malheureusement, il ne put tendre longtemps une main secourable à ceux qui en avaient besoin, car il mourut bientôt : le 27 mars 1877, enlevé par la petite vérole noire (variole) qu’il avait contractée au chevet d’un mourant. L’Institution Taberd plaça, dans la cour d’honneur, le buste de son fondateur et l’amiral DUPERRÉ rendait hommage au grand philanthrope en donnant son nom à une rue de Saigon, un mois, et demi seulement après son décès. (Guide Historique des rues de SAIGON, André BAUDRIT, 1943.) et Société des Missions-Etrangères, Compte rendu des travaux de 1926.
2 Société des Missions-Etrangères, Compte rendu des travaux de 1920, page 89, 1921 et irfa.paris, rapport annuel 1887 : «… L’école Taberd a pris son élan et va bien. La faveur du public et de l’administration ne lui font pas défaut. Des bourses ont été, sur la demande spontanée des parents, transférées de l’école municipale à l’école cléricale. Nombre d’enfants ne seront pas admis faute de places et de professeurs. Notez bien que chez nous, tout élève paie sa pension ou ses mois d’école, et que les collèges du gouvernement sont gratuits. Mais, l’enseignement laïque a si pitoyablement échoué, que tous ses tenants se tournent contre lui et se retournent forcément vers nous. « Les nouvelles constructions de l’école Taberd sont très belles et très solides. Le public saïgonnais en est étonné et satisfait. La dépense a été considérable, mais la bourse de la mission n’a pas fourni un sou pour cette œuvre. Depuis longtemps, on capitalisait chaque année le reliquat des bourses ; on a recueilli des dons en Cochinchine ; il est venu des aumônes de France ; et quand le capital en a été assez rond, on a creusé les fondations sur l’emplacement de l’ancien palais du gouverneur. A la fin de cette année, les constructions seront terminées, toutes les dépenses soldées ; il ne restera ni débit ni crédit dans la bourse de l’établissement, mais il y a quelque chose d’assis au soleil. C’est donc une bonne situation matérielle. Le seul point noir et inquiétant à l’horizon, c’est la question du personnel enseignant. ».
3 (1794-1840). — Jean-Louis TABERD naquit à Saint-Étienne (Loire) le 18 juin 1794. Il quitta la France le 7 novembre 1820 sur un navire de la maison SAGET, de Bordeaux, à destination de l’Annam. Nommé évêque in partibus d’Isauropolis, il fut sacré le 30 mai 1830 par le vicaire apostolique du Siam, à Bangkok. Devant les persécutions que l’empereur MINH-MANG faisait subir aux chrétiens, l’évêque dut quitter cette terre hostile (1833). Il se rendit d’abord au Siam (Collège général de Pinang), puis à Singapoure (1834) ; en 18,38 il fut nommé vicaire apostolique intérimaire du Bengale. Il mourut à Calcutta le 31 juillet 1840. Mgr. TABERD écrivit quelques ouvrages d’érudition et notamment de linguistique. De lui : — Dictionnarium annamitico annamitico-latinum (en caractères chinois pour l’annamite) contient l’hortus floridus cocincinae, Serampore. Ex typis J.C- Marshman, 2 vol. in-4, 1838. [421] — Tabula geographica imperii annamitici (1838), « Journal Soc. asiat. du Bengale », t. VI, avec suppl. t. VII, 1838. — Argumenta rectæ rationis. (En thieu-nom, à l’usage des séminaristes indigènes), Pondichéry. Ex typis J-C. Marsgman, 1853. — Dictionnarium annamitico-latinum (en collaboration avec Theurel), Ninh-Phu. Ex typis Missionis Tunquini occidentalis, in-4, 1877. — Divers dans : Annales de la Propagation de la foi, année 1830. Journal asiatique, t. IV, p. 91-204 ; t. IX, p. 132 ; t. XII, 3e série. (Op cit 1).
4 L’amiral de La Grandière souhaitant favoriser le développement du catholicisme dans la colonie, fit venir à Saigon six Frères des Ecoles Chrétiennes, le 6 janvier 1866. La Mission leur céda le collège d’Adran, fondé en 1861 par M. Puginier. Ils se dévouèrent à l’éducation de la jeunesse jusqu’à la fin de l’année 1882, époque à laquelle ils furent obligés de se retirer suite à la suppression de la subvention du gouvernement aux Missions catholiques. Neuf frères furent rappelés en 1889 par Monseigneur Isidore François Joseph Colombert pour gérer l’Institution Taberd. En 1891, une école annexe est créée à Cap Saint-Jacques (actuelle Vung Tau). (Annales de la Société des Missions Etrangères, Juillet-Août, 1918.) & (Les Frères des Ecoles Chrétiennes Au Vietnam, Hier et Aujourd’hui), Missions Etrangères de Paris, publié le 18/03/2010.).
5 Compte administratif du Gouvernement de l’Indochine Cochinchine, 1er janvier 1895.
6 La Liberté des Colonies, 16 décembre 1900.
7 Les Missions Catholiques, 1er janvier 1879.
8 Mission à l’exposition de Hanoi et en Extrême-Orient : (1902-1903) : rapport général, Capitaine Albert Ducarre, 1903.
9 La Vie Indochinoise, 10 septembre 1939.
10 Le nouvelliste d’indochine, 4 janvier 1942.
11 Annuaire de l’Institution Taberd, 1974.
12 https://dobuon.vn/truong-lasan-taberd, Gia Minh.
13 Op cit , note 12.