HISTOIRE DU POUSSE-POUSSE (XE-KEO) AU VIETNAM
Malgré toutes les explications évoquées sur l’origine japonaise du pousse-pousse, on trouve sa première représentation, 160 ans avant, sur un tableau du peintre français, Claude GILLOT : «Les deux carrosses », vers 1707. On voit deux «vinaigrettes» ne pouvant se croiser dans les rues étroites de Paris. (Nom provenant de leur ressemblance avec les véhicules des fabricants de vinaigre de l’époque).
« Les deux carrosses » Claude GILLOT, vers 1707.
Il réapparait en 1869 à Edo (Tokyo) au Japon, inspiré, semble-t-il, du système de traction des diligences américaines. (1).
Rickshaw Japonais en 1877-1878 par STILLFRIED et ANDERSEN.
Son nom français « pousse-pousse » provient de l’ordre donné par le client à un aide, lorsque le conducteur peinait. En vietnamien, on le nomme« Xe-kéo » (xe = véhicule et kéo = tiré par un homme) et parfois « Cai-xe » (« …La-bas, il y a deux hommes pour chaque cai-xe ; un dans les brancards qui tire, comme ici, et un autre qui pousse la voiture, au moyen d’une tige de bois, transversale, placée derrière».) (2).
En 1883, le Résident supérieur duTonkin, Jean Thomas Raoul BONNAL, décide d’importer du Japon pour la ville de Hanoï, deux rickshaw (du japonais riki = force et sha = véhicule), dont l’un était destiné au Tong-Doc. Puis, il les fait copier par des ouvriers du pays. (3).
En 1884, Un certain LENEVEU importe de Hong-Kong pour la ville de Hanoi, 6 pousse-pousse « …hauts sur roues et à deux places… ». Fort de leurs succès, les personnes désirant les utiliser devaient s’inscrire la veille. (4)
Le 27 mai 1884, le Docteur CHALLAN DE BELVAL raconte sa visite de Hanoi en pousse-pousse, dans son livre « Au Tonkin, 1884-1885 : notes, souvenirs et impressions », page 183, Librairie PLON – 1904.
Le 14 juillet 1886 à Hanoi, des courses de pousse-pousse sont organisées lors de cette cérémonie (Journal Le Temps du 8 septembre1886).
Le 27 avril 1888 à Hanoï, est publié le premier arrêté concernant la circulation des pousse-pousse, suivi d’un deuxième sur la sécurité, le 31 octobre 1889. (5). A Saigon, ce sera le 5 octobre 1892, complété par un autre, le 4 décembre 1894 (et non pas 15 ans après comme l’ont écrit certains). (5bis).
Un pousse-pousse à Saigon vers 1890.
En 1889, lors de l’Exposition Universelle de Paris, les visiteurs peuvent se promener en pousse-pousse et découvrir les différents exposants. Cette animation rencontre un grand succès.
Le 13 Juin 1892, M. Tay-chow-beng ou Tay-chou-beng (Monsieur Trinh-chien-minh dit Tay-chou-Beng, avenue Jacarréo 58, entreprise de charrettes à bras dites « pousse pousse ») dans Annuaire de l’Indo-chine française, 1ère partie, page 552, 1897.), est autorisé à exploiter des pousse-pousse et d’en avoir le monopole pour 4 années, dans la ville de Cholon. (6). (D’après certains auteurs qui ne citent malheureusement pas leurs sources, un certain Fabre en aurait demandé l’autorisation et le monopole au maire de Saigon, le 20 janvier 1888, en signalant que cette même autorisation venait d’être donnée par le maire de Cholon).
Collection Philippe CHAPLAIN.
En 1893, il est fait mention d’un achat de 5 pousse-pousse pour le service postal de Hanoi et de Haiphong. (7).
Collection Philippe CHAPLAIN.
Le 28 mai 1900 à Saigon, est créé « une première catégorie » de pousse-pousse avec un cahier des charges très précis. (8)
Collection Philippe CHAPLAIN.
Dés 1903 à Hanoi, apparaissent les premiers pousse-pousse avec des roues caoutchoutées, apportant un confort beaucoup plus important à leurs utilisateurs. (9 & 9 bis).
Collection Philippe CHAPLAIN.
Seuls quelques Français et riches Vietnamiens ont leur propre pousse-pousse, symbole de la richesse et de la modernité. Les femmes vietnamiennes l’utilisent peu, craignant d’être surnommées « Me Tay » (femme vietnamienne mariée à un homme français). Mrs Verneuil et Pottecher dirigent une fabrique et une entreprise de louage de ces nouveaux pousse-pousse, 3 boulevard Rialan : « 300 de leurs véhicules circulent à Hanoi et 50 à Haiphong. Les indigènes employés sont au nombre de 60 pour les ateliers et de 1000 à 1200 pour la traction des pousse-pousse. » (10). Cette entreprise est qualifié de « prospère » dans le numéro 100 du Bulletin Economique de l’Indochine, page 120, en 1913.
Collection Philippe CHAPLAIN.
En 1913, Pierre MILLE, dans un article publié par Les annales politiques et Littéraires, le 25 janvier (pages 53 & 54), nous donne quelques informations : « …Un pousse-pousse de maitre, au mois, avec des roues caoutchoutées et des essieux à bille, ne coûte que la bagatelle d’une vingtaine de piastres pour quatre semaines… ».
En 1918, la compagnie SFT (Société Française de Transports) gère à Hanoi, la location de 400 pousse-pousse caoutchouc et il existe près de 1100 pousse-pousse « choléra » (surnom donné aux premiers pousse-pousse lors de transports des cadavres en période d’épidémie). (11). En 1922, plusieurs journaux s’insurgent que l’arrêté du 1er mars 1915 limite le nombre de pousse-pousse caoutchoutés à 400 avec un monopole que se partagent la compagnie SFT et une petite entreprise annamite. (12)
En 1922 est organisée une Exposition Coloniale à Marseille où le pousse-pousse obtient de nouveau un grand succès
Dans le jardin botanique de Saigon par Léon BUSY entre 1919 et 1926.
Le 12 Janvier 1935, l’Omnium Indochinois, résultat de la fusion des 2 anciennes entreprises françaises d’exploitation de pousse-pousse (Verneuil & Gravereaux et Chevance & Compagnie) de la Compagnie Française d’explosifs en Extrême-Orient et de la Société Française de Transports (Boyer), est autorisé à mettre en service à Hanoi, 272 pousse-pousse de luxe puis d’autres suivront..ainsi qu’un nouveau moyen de locomotion.(13). A suivre…
Philippe CHAPLAIN, le 15 novembre 2016
Un des derniers pousse-pousse de Saigon en 1947.
ANNEXES
Publicité pour l’Exposition Universelle de Paris en 1889.
Publicité pour les Etablissements Jean COMTE, 34, boulevard Norodom
Après 1955, SAIGON XE HOI CONG TY, rue Duy Tan
Publicité Michelin.
LE COOLIE-XHE
Pauvre traîneur de pousse-pousse,
Suant l’été, transi l’hiver,
Habillé d’un feuillage clair
Comme un sauvage dans la brousse !
Il roule et n’amasse pas mousse
A faire ce métier d’enfer,
Pauvre traîneur de pousse-pousse,
Suant l’été, transi l’hiver !
Est-ce son sang qui t’éclabousse,
Pavé que raye un rouge éclair,
Ou le jus de bétel amer ?
Il est, dit-on, phtisique ; il tousse…
Pauvre traîneur de pousse-pousse !
« Ciels d’Asie », poème d’Alfred Blanchet, page 129, 1936.
Paroles de la chanson le « Pousse-pousse ».
« C’est à Saigon que j’lai connue
Elle était toute menue,
Et toute frêle comme un roseau
Dans son petit kimono.
Je lui dis « Ma jolie congaie
Voulez vous que nous nous promenions ? »
Prenant un air un peu canaille,
Elle ne me dit pas non.
Et tous deux, nous glissions en douce, en pousse-pousse, pousse-pousse, pousse-pousse.
Kamona à mes cotés, semblait follement s’amuser.
Elle disait au ptit annamite
Pas trop vite, vite, vite, vite, vite.
Nous roulions sur le pavé,
Dans un beau rêve enchanté.
J’lui disais Kamona,
Serrez vous bien contre moi,
Et de fermer les yeux
Qui n’en demandaient pas mieux.
Nous passâmes des heures très douces,
En pousse-pousse, pousse-pousse, pousse-pousse.
Mau, dau, je ne comprenais rien du tout
Mau, dau, mais c’était si doux !
Notre si beau roman d’amour,
Dura trois mois, six jours.
Trois mois de rêves éperdus,
Puis elle ne revint plus.
Alors, je partis pour la France,
Souvent le soir, tout attendri,
C’est à Kamona que je pense,
A notre roman joli.
C’était une sensation bien douce,
En pousse-pousse, pousse-pousse, pousse-pousse.
Pour que ses moments charmants,
Puissent durer plus longtemps,
Elle disait au ptit annamite
Pas trop vite, vite vite,vite,vite.
Nous roulions sur le pavé,
Dans un beau rêve enchanté.
J’lui disais Kamona,
Serrez vous bien contre moi,
Et de fermer les yeux
Qui n’en demandaient pas mieux.
Nous passâmes des heures très douces,
En pousse-pousse, pousse-pousse, pousse.
Mau, dau, je ne comprenais rien du tout
Mau, dau, mais c’était si doux ! »
«Le Pousse-pousse», chanson créé et interprété par Tino Rossi en 1942.
Paroles et musique du compositeur Vincent Scotto.
Saga du pousse-pousse de l’impératrice douairière Tu Minh
Après avoir été acquis lors d’une vente aux enchères, le 13 juin 2014 à Tours, en France, pour la somme de 55.800 euros, le pousse-pousse de l’impératrice douairière Tu Minh, mère de l’empereur Thành Thai (1889-1907), retrouve sa demeure initiale, le palais Diên Tho, dans la cité impériale de Hué, le 14 avril 2015.
Le véhicule a été fabriqué en 1890 par les meilleurs artisans d’un village d’incrusteurs de nacre, à Hanoi. La reine mère Tu Minh elle-même a décidé de ses caractéristiques : dimensions (230 cm de long, 136 cm de haut et 102 cm de large), siège, double garde-boue, ornements, etc.
Le pousse-pousse, fait en bois dur, est laqué noir et incrusté de nacre aux reflets les plus variés. Au centre du dossier (face extérieure), un bouquet de roses avec une rose épanouie à chaque angle du panneau. Au centre de la traverse d’appui, au-dessus du panneau, un paysage, et aux extrémités de cette traverse une branche incrustée de nacre. Sur les deux panneaux de côté (avant), à l’intérieur, une touffe d’herbe et des plantes sauvages.
Sur la partie supérieure du panneau, se trouve une bande plate en bois ornée de guirlandes de vigne avec, au centre, un écusson incrusté de nacre. Sur le panneau du siège (avant), deux roses de nacre encadrées de moulures et deux fleurs sur la traverse supérieure du siège. Les brancards sont décorés de cercles de métal blanc. La capote, montée sur des tubes de cuivre, ne présente aucune caractéristique particulière. Comme accessoires, deux lanternes, signe de richesse et de modernité de la détentrice du pousse-pousse. Les roues sont cerclées de fer. Sur les garde-boue, on retrouve le même ornement de guirlandes de vigne, avec en leur centre, un écusson (Le Courrier du Vietnam, 28 mai 2015).
1 L’invention du pousse-pousse semble attestée en 1869 par la demande d’exploitation d’un marchand japonais, Izumi YOSUKE, et de ses associés, Takayama KOSUKE et Suzuki TOKUJIRO d’un modèle de rickshaw provenant de son atelier, situé au pied du Nihombashi (Pont Japonais). (Keiko SHIBA & Motoko EZAKI Literary Creations on the Road : Women’s Travel Diaries in Early Modern Japan, page 68, University Press of America, 2012). Un missionnaire baptiste de l’U.S. Marine, Jonathan GLOBE (ou Jonathan SCOBIE), revendique la paternité du rickshaw, en expliquant qu’il l’a imaginé pour sa femme handicapée et fait réaliser dans l’atelier de Izumi YOSUKE mais sa démarche resta sans suite. (Richard W. BULLIET, The Wheel : Invention and Reinventions, page 192, Columbia University Press, 2016).
2 HIX, Le tour du monde en pousse-pousse, revue humoristique de l’Exposition, page 7, 1889.
3 A MASSON, Hanoi pendant la période héroïque, 1873-1888, page 168, Librairie orientaliste P. GEUTHNER, 1929.
4 Claude BOURRIN, Le Vieux Tonkin : de 1884 à 1889, page 56.
5 Bulletin Officiel de l’Indo-Chine Française, tome Premier, pages 551 & 552, 1889.
5 bis Bulletin Officiel de l’Indo-Chine Française, pages 1038 à 1042, 1892.
6 Bulletin Officiel de l’Indo-Chine Française n° 6, 1ere partie, pages 429 à 431, 1892.
7 Bulletin Officiel de l’Indo-Chine Française n° 6, page 573, Juin 1893.
8 Bulletin Officiel de l’Indo-Chine Française n° 6, pages 815 & 816, 1900.
9 Les Annales Politiques et Littéraires, 25 janvier 1903, pages 53 & 54.
9 bis Bulletin Officiel de l’Indo-Chine Française n° 11, page 840, 1907.
10 Annuaire général de l’Indo-Chine, page 241, 1908.
11 Rapport sur la Foire de Hanoi, M. KOCH, Bulletin économique de l’Indochine, page 356, mai 1919.
12 L’Eveil économique de l’Indochine, 17 septembre 1922.
13 Ville de Hanoi, Bulletin municipal, pages 28 & 29, janvier 1935